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Le château fort du Haut-Barr

Occulus alsatiae

Situé à 2,5 km au sud-ouest de Saverne, le château fort du Haut-Barr, surnommé "l'oeil de l'Alsace" depuis le concile de Constance en 1415, commande le passage le plus aisément franchissable entre la plaine d'Alsace et le plateau lorrain. Il occupe une arête rocheuse de près de 250 m de longueur à l'extrémité nord-est d'un étroit promontoire naturel culminant à 450 m d'altitude au—dessus du débouché de la vallée de la Zorn vers la plaine d'Alsace.

   Sa situation topographique remarquable permet, du côté est, d'embrasser du regard l'étendue de la plaine jusqu'à Strasbourg, tandis qu'à l'ouest, on surveille la vallée de la Zorn et par endroits, la ligne de crête du plateau lorrain. Vers le sud, le Haut-Barr fait face au château Grand-Geroldseck dont la haute silhouette du donjon domine les sommets environnants.

Les chiffres et lettres entre parenthèses renvoient au plan du château.

Le site

La masse gréseuse servant d'assise au château fort est constituée par un socle d'une dizaine de mètres de hauteur au-dessus duquel se dressent trois grands rochers isolés de plus de 20 m de hauteur :

  • le rocher septentrional (A) qui se termine en forme de proue du côté Nord;
  • le rocher médian (B) qui présente au centre une fissure aujourd'hui comblée;
  • le rocher méridional (C) appelé Markfels et relié au précédent par un pont que la tradition populaire a surnommé "pont du diable".

L'arête rocheuse est constituée dans sa partie inférieure de grès fin (grès vosgien), très friable, au niveau duquel sont visibles de nombreux rétrécissements, et, dans sa partie supérieure, de poudingue à gros galets de quartz blanc (conglomérat principal ou poudingue de Sainte-Odile).

La morphologie du substrat rocheux fait du Haut-Barr un "château-barre", type de château fort qui se rencontre essentiellement dans les Vosges du Nord où les sommets couronnés de grands rochers isolés sont nombreux.

Le nom

La forme la plus ancienne connue du nom du château est Barre (1112) ou Barra (1168). D'origine celtique, il signifierait "sommet" ou "hauteur". A la fin du XVe siècle apparaît la forme Bar ou Barr qui est alors employée concurremment à Bor ou Bohr jusqu'au XVIIe siècle. A la fin du XVIe siècle est utilisé pour la première fois le composé Hohenbarr duquel dérive Haut-Barr, nom actuel du château.

I. DECOUVERTES PREMEDIEVALES

La découverte ancienne d'une hache néolithique, ainsi que celle plus récente lors de fouilles archéologiques, de nombreux tessons de poterie protohistorique et de fragments de tuiles à rebord de forme romaine semblent attester une continuité de la présence humaine sur le site depuis la plus haute Antiquité.

II. LE CHATEAU FORT A L'EPOQUE ROMANE

La création du château remonte sans doute au début du XIIe siècle. Ceci est attesté par une charte de 1142 confirmant une donation faite à la cathédrale de Strasbourg vers 1112 sous l'empereur Henri et l'évêque Cunon. Parmi les témoins figure un certain Merboto de Borre. Il s'agit sans doute d'un ministériel épiscopal ayant emprunté son nom patronymique au rocher sur lequel le château fort est établi.

Une charte de 1168 mentionne l'acquisition du Markfels par l'évêque Rodolphe. Ce rocher, jusqu'alors propriété de l'abbaye de Marmoutier, est acheté sur conseil de l'empereur Frédéric Barberousse afin d'améliorer la défense du château fort du côté le plus exposé à l'attaque.

Les vestiges romans qui nous sont conservés datent pour l'essentiel des second et troisième tiers du XlIe siècle. A cette période peuvent être attribués :

Le portail d'entrée de la cour supérieure (1)

Les vestiges d'un portail d'entrée surmonté d'un arc en plein cintre sont visibles au sommet de la rampe d'accès. Le niveau actuel du seuil creusé dans le roc sur 1,5 m de profondeur a été obtenu par abaissements successifs, sans doute pour pallier la raideur de la rampe d'accès.

  Photo d'Adolphe Braun qui est la plus ancienne connue pour le château de Haut-Barr.  La chapelle castrale (2)

Située dans la cour supérieure, à droite de l'entrée, la chapelle se compose d'une nef romane et d'un choeur gothique avec oriel. Les pignons et la toiture datent d'une campagne de restauration réalisée en 1880 sous la direction de l'architecte Winkler.

Le parement extérieur repose sur un socle simple surmonté d'une base à profil attique. L'uniformité de la façade est interrompue par des lézènes verticales que relient des bandes lombardes dont les retombées sont soutenues par des modillons en forme de calice à décor strigillé ou à masque animal.

Sur la face Sud, une porte murée est encadrée de deux montants à moulures cylindriques surmontées d'impostes en forme de masque humain.

La nef comporte deux travées voûtées à l'origine. Le plafond actuel est en bois et date de la restauration de 1880. Les amorces des arcs formerets sont encore visibles. Dans les angles Nord-Ouest et Sud-Ouest sont conservées les colonnes dont les chapiteaux cubiques sont ornés de palmettes et d'une boule dans les écoinçons. Les bases attiques possèdent des griffes d'angle et sont décorées d'un tore cordé.

L'arc triomphal, en plein cintre, présente une mouluration variée. Son montant droit porte un bénitier en forme de tête d'homme barbu. Chaque travée est percée d'une fenêtre ébrasée vers l'extérieur et l'intérieur.

Une niche à l'encadrement mouluré avec un décor chevronné et masque humain à hauteur des impostes est visible dans la travée Nord-Est.

Le choeur, dont l'axe est en biais par rapport à celui de la nef, est gothique, mais repose sur un soubassement roman. Il date vraisemblablement de l'épiscopat de Jean de Lichtenberg (1353-1365).

Durant la Renaissance, la chapelle, jusque-là isolée, est englobée dans une construction d'un ou deux étages. De cette transformation subsistent au-dessus du portail une fenêtre rectangulaire de style Renaissance et à l'intérieur, dans la travée Nord-Ouest, un encadrement de porte murée. Celle-ci permettait l'accès depuis les pièces du premier étage à une tribune aujourd'hui disparue.

La similitude entre les marques de tailleurs de pierre relevées sur l'encadrement de la fenêtre Renaissance et celles des fenêtres du logis épiscopal permet de dater la transformation de la chapelle de la campagne de construction de l'évêque Jean de Manderscheid (1580-1592).

Dédiée à saint Nicolas, elle servit de lieu de pélerinage jusqu'au XVIIIe siècle.

Restaurée une première fois en 1668 après la destruction du château, la chapelle retrouva son aspect roman en 1880.

Le logis roman (3)

Sur l'extrémité Nord du rocher central, auquel on accède actuellement par un escalier métallique, s'élève une construction de plan polygonal. L'entrée taillée dans le rocher est un remaniement postérieur à l'époque romane. On ignore où se trouvait la porte d'origine. Le parement extérieur est constitué d'assises régulières de blocs à bossage sur lesquels on note la présence de trous pour pince de levage.

Le parement intérieur Ouest du logis, qui est le mieux conservé, montre que nous sommes en présence d'une construction ayant un rez-de-chaussée aménagé au niveau du plateau rocheux et un étage noble. Les inventaires du milieu du XVIe siècle précisent qu'il s'agissait des appartements épiscopaux.

Au niveau du rez-de-chaussée sont visibles trois fentes d'éclairage s'ébrasant vers l'intérieur, une quatrième ayant été transformée en latrine à canal d'écoulement oblique.

Au premier étage sont conservées deux fenêtres rectangulaires séparées par un occulus circulaire. Les meneaux présentent à l'intérieur un fût de colonne cylindrique. A l'extérieur, les montants sont décorés de colonnettes à base attique et chapiteau cubique. Une ouverture rectangulaire et une cheminée murée sont visibles à droite de ces deux fenêtres.

La partie médiane du parement Sud du logis présente les vestiges d'une construction plus ancienne en grand appareil lisse et assises irrégulières, caractéristiques de la première moitié du XIIe siècle (4). Il s'agit du parement extérieur d'un donjon carré disparu dont l'emplacement d'origine est indiqué par un socle rocheux (5) à l'extérieur du logis.

Le mur bouclier du Markfels (6)

Sur l'extrémité Sud du Markfels s'élève un mur de près de 2 m d'épaisseur présentant une pointe du côté de l'attaque. Il pourrait s'agir des vestiges d'une tour pentagonale ayant été élevée après l'acquisition du Markfels en 1168.

Le puits inachevé de la face Ouest (7)

Sur le côté Ouest, au pied du rocher central a été découvert et fouillé de 1987 à 1990 un puits dont la section est en forme d'étrier. H est entièrement taillé dans le roc. Pour des raisons techniques, le creusement a été interrompu à la profondeur de 25 m. Le comblement de ce puits, qui n'a donc jamais servi, a commencé dès le XIIe siècle pour se poursuivre jusqu'à la destruction du château.

A l'époque romane peuvent également être attribués le mur de séparation de la cave (8) et les assises de blocs à bossage entourant la partie Sud du rocher septentrional (9).

III. L'EPOQUE GOTHIQUE

La destinée du Haut-Barr à l'époque gothique n'est connue que de manière très lacunaire.

On note un regain d'activité au milieu du XIVe siècle sous l'épiscopat de Jean de Lichtenberg qui réside dans la forteresse et y ordonne quelques constructions.

Un texte de 1394 mentionne deux Burgherren : Egenolf de Lutzelbourg et Pierre Hase qui s'engagent envers l'évêque Guillaume de Diest (13941439) à maintenir la forteresse en bon état et à n'y laisser entrer aucun ennemi de l'évêque.

L'étude archéologique des vestiges permet de faire remonter à l'époque gothique :

La tour du puits (10) et l'approvisionnement en eau du château

Appuyée contre le flanc Est du rocher médian, cette tour rectangulaire contient un puits circulaire de 2,5 m de diamètre, taillé dans le substrat rocheux et aujourd'hui presqu'entièrement comblé. Sa profondeur et l'époque de son creusement ne sont pas connues.

La partie inférieure de la tour est constituée de pierres à bosse caractéristiques des XIIIe - XIVe siècles. La partie supérieure, en blocs lisses, est sans doute plus récente.

Deux dalles entourées d'un cadre chanfreiné avec inscription latine sont encastrées sur la face extérieure Nord. L'une porte les armoiries de la famille des Lichtenberg et de l'évêché de Strasbourg et la seconde une inscription presque illisible.

Cet ensemble qui n'est pas à sa place d'origine se rapporte à un voeu dont se seraient acquittés les fidèles en reconstruisant le choeur de la chapelle castrale, détruit semble-t-il lors du tremblement de terre de 1356.

Les entailles semi-circulaires partiellement visibles sous le surplomb rocheux au-dessus de la tour du puits indiquent l'emplacement d'un dispositif de levage de l'eau.

L'approvisionnement en eau du château était complété par trois citernes à filtration dont deux se trouvent dans la cour supérieure. L'emplacement de celle de la partie Sud est marqué par une dalle de béton devant le restaurant (11) et celle de la partie Nord a été munie d'une margelle moderne (12). La troisième, située sur le rocher médian (13), n'est plus visible actuellement.

On peut également mentionner la source située à quelques centaines de mètres en contrebas du château et qui jaillit sous un rocher sur lequel est gravé le millésime 1539.

Le dispositif d'entrée à pont-levis (14)

Un dispositif d'entrée à pont-levis flanqué d'une tour circulaire et datant vraisemblablement du XVe siècle est situé sur la rampe d'accès de l'avant-cour. Ce dispositif qui précède l'entrée romane est constitué par une fosse taillée dans le roc sur toute la largeur de la rampe.

La partie supérieure de la culée Nord, constituée d'assises de blocs à bossage et de blocs lisses, est délimitée de part et d'autre par une rainure en quart de cercle permettant le passage des contrepoids des longerons du pont-levis.

La tour ronde protégeant l'entrée figure sur la gravure de Mérian (1644). Ses vestiges ont été mis au jour lors de fouilles réalisées en 1979-1980 et qui ont livré un abondant mobilier archéologique des XVIe et XVIIe siècles. Les assises de la tour sont constituées de grands blocs lisses avec trous pour pince de levage visibles entre le mur de soutènement de la rampe d'accès et le mur de courtine Est.

La partie médiane de la courtine Ouest (15)

Reconstruite sur des fondations romanes, cette partie de la courtine Ouest réalisée en appareil de qualité médiocre présente dans sa partie Sud des fentes de tir verticales à bords chanfreinés.

L'entrée Nord (16)

Ce dispositif d'entrée, certainement aménagé à la suite d'un partage du château vers la fin du XIVe siècle, est visible au pied du rocher septentrional.

L'ouverture est couverte par un arc en tiers—point et son ébrasement intérieur par un arc surbaissé. Un arc intermédiaire en plein—cintre semble toutefois indiquer l'existence de cette porte dès l'époque romane.

V. LE XVIe SIECLE

L'avant-cour du château a été créée vers la fin du XVe ou au tout début du XVIe siècle (17). Elle est délimitée à l'Est par un mur de courtine s'adossant contre la tour ronde. La construction d'une nouvelle entrée a eu pour effet de réduire fortement l'importance du dispositif d'entrée à pont-levis qui a donc été transformé en entrée intermédiaire.

La courtine Est (18)

Le mur de courtine Est présente les traces d'un important remaniement. Dans sa partie inférieure, il est formé d'assises de blocs à bossage peu saillant portant des signes lapidaires composés. La partie supérieure moins épaisse et comportant des fentes de tir verticales est une réfection du XVIIIe siècle.

A cette époque, les bâtiments principaux sont encore situés sur les rochers méridionaux. Les appartements épiscopaux se trouvent toujours dans le logis roman sur le rocher central (3). Sur ce même rocher est citée une chapelle désaffectée ; les appartements du bailli et le poste de garde se trouvent sur le Markfels (C). Les communs sont répartis dans la cour Sud. La cour Nord est occupée par un bâtiment datant de 1527 (19) dont seule la cave aménagée sur des murs plus anciens subsiste de nos jours.

Le château sous l'épiscopat de Jean de Manderscheid (1568-1592)

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, d'importants travaux sont ordonnés par Jean de Manderscheid. Sans doute motivé par les incessantes guerres de religion, il tente de faire de ce château une forteresse adaptée à la guerre de siège. Le Haut—Barr servira également de résidence à l'évêque qui y séjournera beaucoup plus souvent que ses prédécesseurs.

Des documents d'archives (inventaires, correspondances, rapports d'inspection) nous donnent de précieuses indications sur les constructions, le cadre de vie, l'organisation du gardiennage, etc..., dans le château vers la fin du XVIe siècle. Ils nous indiquent également que les grands travaux réalisés à cette époque se sont échelonnés de 1581 à 1586.

Le portail d'entrée (20)

Le nouveau portail monumental qui se substitue à l'ancienne entrée est un bel exemple d'architecture et de décor Renaissance. Il est surmonté d'un arc en plein—cintre et flanqué de deux pilastres toscans. L'encadrement du portail ainsi que les deux pilastres sont réalisés dans un appareil à bosse très soigné.

L'architrave est surmontée d'une corniche à larmier et cimaise. Le haut du portail constitue une attique couronnée d'un fronton triangulaire. Au centre de l'attique sont visibles les armoiries de Jean de Manderscheid martelées durant la période révolutionnaire.

L'écusson portait écartelé au premier de gueules à la bande d'argent (évêché de Strasbourg), au deuxième d'or à la bande vivrée de gueules (Manderscheid), au troisième d'or au lion de sable, chargé d'un lambel de gueules à trois pendants (Blankenheim) et au quatrième de gueules à la bande trifoliée et perlée d'argent (Landgraviat de Basse-Alsace).

Les armoiries sont flanquées de deux cartels portant l'inscription suivante :

IOANNES DEI GRATIA                   HAC DIV NEGLECTA RVI

EPS ARGENTINENSIS                     NOSA ARCE AD SVBDITORVM

ALSATIAE LA DTGRAVIVS             TVTELA NVLLI

EX FAMILIA COMITVM                 INNIMICA RESTAVRAVIT

DE MANDERSCHEIDT                   MVNIVIT FIRMAVIT :

BLANCKENHEIM                            ANNO DNI. M.D.LXXXIII

traduction :

« Jean, Par la grâce de Dieu, évêque de Strasbourg, Landgrave d'Alsace, de la famille des comtes de Manderscheid-Blankenheim, a restauré, fortifié, consolidé cette forteresse qui était depuis longtemps négligée et ruinée, pour la protection de ses sujets et sans intention inamicale contre personne en l'an 1583 ».

Les cadres des deux cartels sont ornés de motifs de cuir formant des volutes et renfermant des têtes d'angelots et de lions.

L'intérieur du portail est couvert d'un arc surbaissé dont la clé porte le millésime 1586. L'intrados de la voûte est muni d'une fente pour herse bouchée au XVIIe siècle par une poutre percée de trous. Dans le sommet de l'intrados sont aménagés deux conduits verticaux de section ovale, sans doute des assommoirs.

La conciergerie (21)

Après avoir franchi le portail, on se trouve dans l'avant-cour limitée à gauche par un bâtiment adossé d'une part à la courtine, et d'autre part à la tour du puits. Un texte du XVIe siècle le nomme Portstuben, un autre de 1582 parle de la "nouvelle conciergerie".

Le soubassement est constitué de grandes pierres à bosse similaires à celles des autres constructions de l'époque de Manderscheid. Une gravure de 1805 nous montre le bâtiment encore muni de son toit.

La fortification du Schnabel (22)

A la pointe Nord du château, à l'extrémité du rocher, Jean de Manderscheid a fait édifier un petit bastion polygonal à l'extérieur et arrondi à l'intérieur. Une porte aujourd'hui murée s'ouvrait vers l'Ouest et donnait accès à des bâtiments aujourd'hui disparus.

Au pied du rocher Nord a été construit un grand bastion polygonal dont la partie Ouest (23) délimitait une terrasse, tandis que la partie Est (24) comprenait des casemates auxquelles on accédait en empruntant en sens inverse l'ancienne entrée médiévale. Une crapaudine témoigne en effet de la présence d'une porte qui fermait le bastion de l'intérieur.

Le nouveau logis épiscopal et la tour-bastion Ouest (25)

Dans la cour Sud s'élevait l'une des constructions les plus remarquables du château : le nouveau logis épiscopal construit entre 1583 et 1586 et formé d'un corps de bâtiment rectangulaire de quatre niveaux s'appuyant contre la courtine Ouest. Il était flanqué d'une tour-bastion de plan polygonal dont le parement réalisé en grand appareil à bosse avec trous de pince et signes lapidaires présente un léger fruit.

Les deux étages inférieurs étaient aménagés en casemates. Le niveau inférieur, actuellement comblé, est muni d'embrasures de tir situées sur les angles Nord-Ouest et Sud-Ouest du bastion.

Le deuxième niveau possède quatre embrasures de tir, deux situées au-dessus des précédentes et deux sur les flancs.

Les embrasures de tir sont ébrasées vers l'extérieur et leur ouverture est encadrée par des pierres à tore semi-cylindrique. A l'intérieur, au début de l'ébrasement, on distingue l'emplacement d'un volet coulissant et, vers le haut, des conduits de cheminée qui se rejoignent deux par deux pour évacuer dans l'épaisseur du mur la fumée provenant du tir des canons. Les embrasures de tir sont situées dans des niches couvertes d'un berceau surbaissé.

Les deux étages supérieurs constituaient le prolongement des appartements épiscopaux situés dans la cour. Au troisième étage, deux fenêtres à décor monumental attestent la présence d'une pièce d'apparat. Le décor est constitué d'un fronton triangulaire supporté par deux pilastres ioniques soutenus par des consoles godronées.

Au quatrième étage sont visibles sur la face Nord-Ouest et le flanc Nord les vestiges de fenêtres non décorées et plus grandes que celles de l'étage inférieur.

La transition entre le flanc Nord de la tour-bastion et le mur de courtine Ouest était assurée par une tourelle d'escalier qui desservait les différents étages du logis épiscopal. A l'intérieur sont encore visibles les amorces des marches de l'escalier ainsi que des fragments de la main courante.

Les textes anciens précisent que la garde du château était assurée par un bailli ayant la jouissance des biens dépendant du château. Il entretenait à ses frais deux soldats et un gardien.

Les constructions érigées sous l'épiscopat de Jean de Manderscheid sont caractérisées par la présence de signes lapidaires composés sur les pierres à bosse formant leur parement extérieur. Ceux-ci peuvent être observés sur le soubassement de la conciergerie (21), le bastion du Schnabel supérieur (22), la tour-bastion Ouest (25) ainsi que la tourelle d'escalier contiguë (26).

Il s'agit de l'association d'une marque de tailleur de pierre et d'une marque de hauteur d'assise. Le relevé systématique de l'appareil des murs a permis de déterminer que les trois marques de hauteur d'assise qui ont été utilisées correspondent respectivement aux mesures de 1 pied, 1 pied 1/4 et 1 pied 1/2.

V. LE XVIIe SIECLE

A la mort de Jean de Manderscheid en 1592 éclate la "guerre des évêques" entre catholiques et protestants. Elu évêque de Strasbourg par le parti catholique, Charles de Lorraine prend possession de Saverne et du Haut-Barr. Le château est pourvu d'une garnison et maintenu en état de défense. L'armement est alors constitué de 21 pièces d'artillerie allant des fauconneaux jusqu'au gros canon utilisant des projectiles de 20 livres, de mousquets dont certains à rouet, de hallebardes, de piques, d'épées, de mèches, de plomb, de balles et de 60 morions.

Le château perd cependant sa fonction de résidence épiscopale à cette époque et n'aura plus de rôle militaire important.

Pendant la guerre de Trente Ans, Haut-Barr est alternativement occupé par les troupes impériales et les troupes françaises.

Un inventaire de 1621 révèle l'état lamentable de la défense, l'arsenal n'étant plus correctement entretenu.

En janvier 1634, le comte de Salm, battu à Marmoutier par les Suédois, se réfugie au Haut-Barr qui est alors assiégé. Le comte de Salm négocie avec le Maréchal de la Force la remise de Saverne et du Haut-Ban à la France pour la durée de la guerre. Le château est investi le 31 janvier par une garnison française.

En novembre 1635, l'armée impériale oblige le commandant français Dubourg à capituler et à livrer la ville et Haut-Ban.

En juin 1636, le Cardinal de la Valette et Bernard de Saxe-Weimar assiègent la ville qui capitulera après six semaines de combats.

En 1644, Matthias Merian consacre quelques lignes à Saverne et au Haut-Barr dans sa Topographia Alsatiae. L'ouvrage est orné d'une gravure représentant assez fidèlement l'état du château juste avant sa destruction.

Le traîté, de Westphalie qui met fin à la guerre de Trente Ans impose le démantèlement de plusieurs forteresses alsaciennes parmi lesquelles Haut—Barr. C'est ainsi que le 19 novembre 1649, le commandant de Pesselière fait entreprendre les travaux de démolition qui se poursuivront jusqu'au départ des troupes françaises en octobre 1650.

Le château, qui n'était plus habité que par un fermier, est restitué à l'évêque de Strasbourg. La chapelle, épargnée par les travaux de démolition, est restaurée en 1668.

VI. LE XVIIIe SIECLE

La guerre de succession d'Espagne éclate en 1701. Les troupes impériales pénètrent en Alsace jusque dans la région de Saverne. On songe à la restauration de certaines places fortes, parmi lesquelles Haut-Barr.

Plusieurs plans et élévations signés Tarade et datés de 1706-1707, conservés aux Archives du Génie de Vincennes montrent l'état de la forteresse au début du XVIIIe siècle ainsi que les travaux projetés. Une partie de ces travaux a été réalisée :

Dans l'avant cour, la partie supérieure du mur de courtine Est est restaurée (18). Moins épaisse et construite dans un appareil différent de celui de la partie inférieure, elle comporte deux rangées de fentes de tir s'ébrasant vers l'intérieur, celles situées au Sud étant en biais pour battre les flancs du portail.

A l'endroit où s'élevait la tour ronde flanquant le dispositif d'entrée du XVe siècle s'élève à présent une tour polygonale (27) comportant trois niveaux s'ouvrant vers l'extérieur sur chaque face par une fente de tir à double ébrasement.

Le bastion Nord est réaménagé et sa face Ouest (23) doublée d'un mur présentant un important fruit.

Les travaux sont interrompus avec la cessation des hostilités.

En 1743, en pleine guerre de succession d'Autriche, Haut-Barr reprend momentanément du service. Le portail d'entrée est remis en état et l'on restaure les casernements. Il est entretenu comme poste militaire jusqu'en 1772, date à laquelle on reconnait "sa parfaite inutilité", puis il est définitivement abandonné.

Restitué une seconde fois à l'évêque de Strasbourg en 1714, il est loué à des fermiers qui occupaient sans doute les bâtiments épargnés par la destruction.

Haut-Barr et les forêts avoisinantes deviennent propriété de l'Etat en 1789.

Par décision municipale de 1793, les armoiries de Jean de Manderscheid situées au-dessus du portail d'entrée sont martelées. Bien que fermée dès 1792, la chapelle continuera à servir au culte célébré clandestinement par des prêtres non-assermentés.

VII. L'EPOQUE MODERNE

Maurice Kolb devient propriétaire du château en juillet 1796 pour la somme de 2592 F. En 1801, il le céde au Général Clarke qui le gardera jusqu'à sa mort en 1818. Il est vendu en 1821 à Lazare Wolff qui le revend la même année à Maurice Kolb qui l'attribue à sa fille Pauline. En 1836 celle-ci fait édifier une maison de campagne (28) dans la cour Nord, à l'emplacement des anciens casernements. Cette construction est détruite en 1918 dans un incendie causé par l'imprudence des soldats qui l'occupaient.

Le 27 juin 1878 le château et la forêt avoisinante sont acquis par l'Etat. La ruine est alors régulièrement entretenue par le Club Vosgien. Une plaque commémorative à l'effigie de son fondateur, le juge savemois Richard Stieve, est visible sur une paroi rocheuse dans l'avant-cour du château.

Haut-Barr est classé monument historique en octobre 1874. Plusieurs campagnes de restauration sont alors engagées, parmi lesquelles la restauration de la chapelle romane en 1880.

Dans la cour supérieure, la Ville de Saverne fait élever en 1901 un établissement hôtelier (29). Pendant la seconde guerre mondiale, Haut-Barr est occupé par un poste militaire allemand. C'est à cette occasion qu'est édifiée par l'armée allemande une maison surnommée "Villa Stuka" pour loger le personnel militaire (30).

Le 20 août 1970, la Ville de Saverne devient propriétaire du château.

La confrérie de la corne

D'après la tradition, l'évêque Jean de Manderscheidt aurait créé, à l'occasion du banquet qui a suivi la fin des travaux qu'il avait ordonnés au château, une confrérie de buveurs dont le symbole était une grande corne d'aurochs d'une contenance d'environ 4 litres. Pour être admis dans la confrérie, il fallait vider d'un trait la corne remplie de vin.

L'existence de cette corne et du livre d'or qui l'accompagnait est attestée dans un inventaire de 1603. Elle était ornée de trois cercles en argent sur lesquels étaient gravées les inscriptions suivantes :

India remota cornu (ledit, da, deus,

Praesens, praesidium huic arci, tuoque

Favore cornu illius evehe

La contrée lointaine de l'Inde a donné cette corne. Daigne accorder, ô Dieu, ta protection à ce château, et rends célèbre par ta faveur la corne qu'il possède.

Reperi destitution, reliqui munitum

Maneat tibi luta custodia !

Je t'ai trouvé dans un état délabré, je t'ai fortifié, qu'une garde sûre te demeure toujours !

Non minor est virtus, quant quaerere, parta tueri

Il n'y a pas moins de mérite à savoir garder une conquête qu'à la faire.

Si la corne a bien existé, la confrérie des buveurs quant à elle n'est qu'une légende, les inscriptions gravées sur la corne étant uniquement relatives aux travaux de fortification du château.

Trésors et souterrains

Une légende qui a pris naissance au XVIIe siècle parle d'un souterrain reliant le Haut-Barr au château épiscopal de Saverne. On y aurait entreposé, lors des guerres de religion, à la fin du XVIe siècle, une statue du Christ en or massif et les statues des douze apôtres en argent massif.

Cette légende est à l'origine d'une chasse aux trésors qui bouleversa le Haut-Barr aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Le télégraphe Chappe

En 1798 fut inaugurée la ligne de télégraphe optique reliant Paris à Strasbourg. La première station alsacienne était située sur le rocher central du Haut-Barr. Il s'agissait d'une construction en bois surmontée du télégraphe. Entre 1806 et 1811, le télégraphe a été transféré sur une petite éminence située à une centaine de mètres au Sud du Markfels où il est encore visible aujourd'hui.

Bernard Haegel,

Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs - 

Centre de recherches archéologiques médiévales

Site internet du Crams: http://www.crams.fr/

BIBLIOGRAPHIE

Les deux ouvrages de référence pour la connaissance du château sont :

Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France - Bas-Rhin, canton de Saverne, Paris 1978.

Le château du Haut-Barr, numéro spécial de Pays d'Alsace, cahier 107- 108,1979.

(une bibliographie détaillée figure dans ces deux ouvrages)

Autres publications:

B. Haegel - R. Kill, Recherches archéologiques au château du Haut-Barr - Présentation de la campagne de fouilles 1979-1980, Pays d'Alsace, cahier 113,1980,2-5.

B. Haegel - R. Kill, Les fouilles au château du Haut-Barr, 1979-1980, Etudes Médiévales I / 1983,109-134.